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February 21, 2012

Janus Bifrons et les commencements. ~ Sophie Rochefort-Guillouet

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En 326, Alexandre le Grand, après sa victoire sur la Perse, parvient aux confins de l’Inde. Au bord du fleuve Indus, il rencontre un de ceux qu’on nommera Gymnosophiste, un sage presque nu, immobile et méditant. Le dialogue qui s’ensuit est sans doute trop beau pour ne pas être apocryphe !

Le Conquérant macédonien, éduqué par Aristote, demande au Yogi : “Que fais-tu ?”

“Et toi?”  s’enquiert le sage.

“Je suis en train de conquérir le Monde.”  répond Alexandre.

“Et bien moi, réplique le Yogi, je contemple le vide absolu.”

Il semblerait que les deux hommes aient ensuite éclaté de rire…. Cette histoire paraît illustrer à merveille le contraste entre la trépidation infinie de l’Occident et la sérénité sans bornes de l’Orient : l’action contre la méditation, la conquête de l’espace contre la conquête de soi, l’histoire linéaire contre la philosophie des cycles, la possession et la gloire contre le détachement voire le renoncement… la leçon est magistrale même si le trait est un peu forcé.

Poursuivons…. La notion d’illimité est sans conteste un des aspects les plus angoissants de nos existences : infini des désirs et brièveté du temps génèrent les sentiments d’inaccomplissement et de frénésie qui caractérisent souvent notre vie. Pas seulement le dilemme être ou avoir mais, bien plus profondément, la capacité à s’inscrire dans le temps car la fuite regrettée du passé et l’appréhension face à l’avenir empoisonnent le moment présent.

Au début de l’année, il est fréquent de prendre quelques bonnes résolutions qu’on sait pertinemment ne pas pouvoir ou réellement vouloir tenir…Les ruptures nettes de ce genre plaisent généralement en ce qu’elles nous confortent dans l’idée – fort existentialiste – que l’on peut toujours recommencer à zéro et que nous maîtrisons tout par notre simple volonté.

Il est sans doute prudent de songer parfois aux pragmatiques Romains et de leur emprunter pour le mois de Janvier une belle image mythologique, celle de Janus bifrons. Il est le dieu bicéphale, celui des commencements et des fins, du renouveau aussi. Un de ses visages regarde vers le passé, l’autre vers l’avenir… il a donné son nom au mois qui inaugure l’année : Janvier/January, le mois de Janus. Qu’il puisse nous rappeler que nous vivons de souvenirs et d’anticipation, d’héritage et de projets, dans cette intersection fragile et fertile qu’on nomme présent.

 

(prepared by Jill Barth)

 

Sophie Rochefort-Guillouet

Sophie est un cerveau. Cerveau drôle. Mais le cerveau. ENS, Paris IV Sorbonne, Sciences Po Paris. Quand elle n’enseigne pas, l’écriture, ou l’apprentissage de quelque chose nouvelle passion, elle prend soin de son château, les enfants, et les papillons!

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